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Publié le 22.01.2018

Philippe Durance, professeur au CNAM : télétravail et santé

Malakoff Médéric a créé en partenariat avec le CNAM la chaire Entreprise et Santé afin d’apporter aux entreprises une vision prospective des enjeux de santé au travail. Les rencontres organisées par cette chaire en 2017 étaient consacrées au télétravail. Philippe Durance est un des animateurs de cette chaire.

Pourquoi la chaire CNAM-Malakoff Médéric s’intéresse-t-elle au télétravail ?

Le développement du télétravail est une tendance de fond, même si la France est en queue de peloton des pays européens (8 % des salariés français concernés en 2013)[1]. Si le télétravail est parfois présenté comme une panacée, répondant aux intérêts économiques de l’entreprise tout autant qu’aux besoins des salariés ; mais en réalité ce n’est pas si simple que cela. Les risques liés au télétravail sont assez mal évalués et nécessitent d’être étudiés pour que cette nouvelle organisation du travail devienne une solution d’avenir positive.

Quelles sont les principaux bénéfices du télétravail sur la qualité de vie au travail ?

Les bénéfices du télétravail sont bien connus : moins d’accidents liés aux trajets domicile travail, une meilleure articulation de la vie professionnelle et familiale, un emploi du temps plus adapté à chaque salarié…

… Et quels sont les risques ?

Les risques sont de deux ordres : physique et psycho-sociaux. L’entreprise ne pouvant plus maîtriser l’environnement de travail ou vérifier l’application des consignes de sécurité, le risque physique peut augmenter. Cela peut concerner par exemple l’ergonomie de l’espace de travail ou le respect des normes électriques.

En termes de risques psycho-sociaux, le télétravailleur peut se sentir isolé, l’esprit d’équipe et la solidarité collective s’affaiblir. Appartenir à un collectif est important pour une majorité de salariés, comme l’a montré l’étude Malakoff Médéric « Santé & Bien-être des salariés, performance des entreprises 2016 ». On y constatait que pour 49 % des salariés et 54 % des dirigeants, c’est même le premier élément de la qualité de vie au travail.

Quelles sont les recommandations de la chaire CNAM-Malakoff Médéric en conclusion de ses travaux ?

Tout d’abord, on sait que le télétravail ne doit pas être exclusif. Les risques d’isolement et de délitement du lien social sont dans ce cas trop importants. Les entreprises américaines qui avaient basculé dans le 100 % télétravail (Yahoo, IBM…) ont toutes fait machine arrière. Notre groupe de travail préconise un travail hybride qui combine télétravail et présence au sein de l’entreprise. C’est d’ailleurs le modèle qu’adopte la majorité des entreprises françaises qui ont choisi le télétravail. Ensuite l’entreprise doit accompagner les salariés concernés en étant vigilante. Il faut aider à la mise en place et à la sécurisation de l’espace de travail au domicile du salarié (aide financière, conseils techniques, formation…). Il faut également éviter l’isolement psychologique et social des télétravailleurs. Notre groupe de travail propose plusieurs pistes : mettre en place un coaching spécialisé en télétravail, des actions volontaristes pour conserver des temps forts en présentiel et des événements qui renforcent l’esprit d’équipe, favoriser le management participatif et le feed-back, privilégier les technologies qui permettent de voir les interlocuteurs à distance comme les visioconférences…

Que pensez-vous des espaces de co-working ?

C’est une solution très intéressante. C’est une façon de garder les bénéfices du télétravail tout en diminuant les risques que nous avons évoqués. On les voit se développer actuellement dans les grandes villes mais ils sont aussi nécessaires dans les zones à faible densité.

Enfin, il faut souligner que nous ne sommes pas tous égaux face au télétravail. Certains auront besoin de plus d’accompagnement que d’autres pour gérer leur nouvelle autonomie et surmonter une sensation d’isolement…

Quel rôle peut jouer les pouvoirs publics dans le déploiement du télétravail en France ?

Il y aura nécessairement plus de réglementation concernant le télétravail à mesure du développement de ce mode de travail, avec l’expertise de l’ANACT par exemple. C’est bien d’évaluer les risques et de les prévenir, mais il ne faudrait pas que les pouvoirs publics sur-réglementent et ainsi freinent le déploiement du télétravail qui a de nombreux avantages en termes de créativité et d’autonomie pour les salariés.