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Publié le 03.09.2018

Rapport Lecocq : Pour une santé au travail préventive et pragmatique

Mardi dernier, la députée LREM Charlotte Lecocq a remis à Matignon un rapport sur la santé au travail. Hervé Lanouzière, Inspecteur général des affaires sociales a suivi de près son élaboration et revient sur les mesures phares destinées à réorganiser le système de prévention des risques professionnels, tant dans son organisation que dans son mode de financement. Décryptage.

Quelle est l’ambition de ce rapport ?

Le rapport propose un nouveau modèle qui permet d’atteindre les objectifs ambitieux et justifiés fixés par le troisième plan santé au travail (PST3) qui incite à changer de paradigme, à passer d’une logique de réparation à une logique de prévention.

Pour ancrer nos propositions dans la réalité du terrain, nous avons interrogé des salariés et des employeurs sur leurs besoins concrets exprimés au quotidien et la manière dont une réponse fiable, accessible et durable pouvait leur être apportée. Une des propositions essentielles qui a émergé est la création d’un guichet unique auquel une entreprise pourra demain s’adresser en ayant la certitude d’avoir une réponse sans être renvoyée à une multitude d’acteurs.

Un interlocuteur unique de référence doit devenir le partenaire de l’entreprise et lui faciliter la vie.

Le rapport pointe aussi les limites d’une politique de santé au travail trop curative et pas assez préventive. Que voulez-vous dire ?

Aujourd’hui, les actions de formation dispensées en entreprise sur le champ de la santé sont nombreuses mais aucune ne porte précisément sur ce qu’est une démarche de prévention. Beaucoup de formations sont hors sol et frisent l’incantatoire au lieu de décrire ce que signifie le déploiement pratique en situation réelle de travail.

Nous recommandons de mettre en place une école de la santé au travail, qui permettra de partager et de généraliser une culture de la prévention rénovée.

Et concrètement, que proposez-vous pour développer cette culture de la prévention au sein des entreprises, et quelle formation dispenser ?

Il faut revisiter en profondeur les modalités pédagogiques traditionnelles de sorte qu’on ne revienne pas de sa formation avec le sentiment d’avoir appris une théorie idéale mais inapplicable dans la vraie vie. Il est nécessaire de mettre en place des formations appliquées à un projet réel dans l’entreprise, au cours desquelles responsables du projet, salariés et managers apprennent ensemble à analyser des situations de travail et à appliquer les principes généraux de prévention.

Aussi, nous recommandons de mettre en place une école de la santé au travail, qui permettra de partager et de généraliser une culture de la prévention rénovée.

Il y a, en effet, un important travail d’ingénierie pédagogique à réaliser, que les structures régionales devront prendre en charge avec l’appui de la structure nationale. Cette ingénierie à la disposition des entreprises, devra aussi déboucher sur une offre de formation structurée sur l’ensemble du territoire pour garantir l’accès de toutes les entreprises à ces formations.

Les petites entreprises n’ont souvent personne pour s’occuper de ces questions. Le dirigeant est mobilisé sur le business. Comment régler ce problème ?

Grâce au guichet unique, il aura un « fournisseur de prévention » à disposition. Loin de déresponsabiliser l’employeur, le guichet unique doit le conduire au contraire à prendre ses responsabilités en saisissant l’opportunité qui lui est offerte d’avoir un interlocuteur de proximité à sa disposition. La structure régionale ne va pas sous-traiter le risque, elle va aider l’employeur à mieux le traiter. Aujourd’hui, la complexité du système de santé au travail et la multiplicité des acteurs décourage l’entreprise de se lancer dans une démarche de prévention. L’ambition du rapport est de lever les obstacles à ses initiatives.

Les entreprises ont consacré des efforts importants à la santé au travail mais elles ont trop privilégié des actions curatives au détriment de la prévention primaire, celle qui agit sur les causes.

A lire le rapport, on a l’impression que la santé des salariés n’est pas suffisamment prise en compte par les entreprises… Pourtant les mentalités ont évolué !

Les entreprises ont consacré des efforts importants à la santé au travail mais elles ont trop privilégié des actions curatives au détriment de la prévention primaire, celle qui agit sur les causes. Alors certes les mentalités évoluent mais les pratiques sont encore en retrait. Le rapport souligne d’ailleurs que les études scientifiques doivent d’avantage expliciter le lien entre conditions de travail et performance de l’entreprise.

Le niveau de maturité de la culture de prévention dans une entreprise ne se mesure pas uniquement au nombre d’accidents.

Le rapport privilégie l’incitation à la pénalisation en recommandant par exemple d’augmenter le montant des aides aux entreprises…mais comment évaluer leur engagement en termes de prévention ? Sur quels critères ?

Il est en effet crucial d’enrichir la batterie des indicateurs à l’aune desquels on juge l’impact des actions conduites. Ces indicateurs peuvent en outre varier d’une entreprise à l’autre et donc être construits localement avec les partenaires sociaux.

Aujourd’hui, notre système est plutôt tourné vers la réparation parce que tout notre appareillage statistique repose sur des indicateurs de sinistralité utilisés dans le cadre du régime de réparation AT/MP : taux de fréquence, indice de gravité, etc. Or, il y a bien d’autres critères pour juger si la situation tend plutôt à s’améliorer ou à se dégrader dans l’entreprise. Le niveau de maturité de la culture de prévention dans une  entreprise ne se mesure pas uniquement au nombre d’accidents.

Ainsi par exemple, un employeur pourrait contractualiser avec la structure régionale un plan d’action construit sur un diagnostic partagé, dans lequel l’entreprise s’engage sur plusieurs années à réaliser un certain nombre d’actions prioritaires, chacune dotée de son indicateur de réalisation et d’impact propre. Le respect des engagements pris, objectivé par ces indicateurs, pourrait entraîner une réduction de cotisation.

Selon vous, quel rôle peuvent jouer les complémentaires santé pour améliorer la prévention et plus particulièrement dans le dispositif proposé par le rapport ?

Le rapport met l’accent sur les acteurs de droit privé qui ont émergé ces dernières années et explique comment ils devront être intégrés dans le paysage institutionnel de la prévention.

Comme le mentionne le PST3, les complémentaires santé sont un nouvel acteur de la prévention des risques professionnels et doivent avoir une place à part entière dans le système. En effet, elles présentent l’avantage de pouvoir s’adresser simultanément à l’employeur et au salarié, ce qui signifie qu’elles peuvent passer tout à la fois des messages de santé publique et de santé au travail ainsi que proposer dans leurs prestations d’accompagnement des réponses collectives (démarche de prévention, d’aide à l’évaluation des risques…)  et individuelles (maintien dans l’emploi, etc.). Il y a donc un maillage à concevoir de sorte que l’offre des complémentaires puisse être articulée à celle des structures régionales ou, plus exactement, que le guichet unique puisse identifier les complémentaires comme un possible relai de l’appui sollicité par l’entreprise.

On parle d’une loi en 2019 sur le sujet : quelles sont les étapes de discussion/négociation prévues d’ici là ?

Si les propositions du rapport sont reprises, il y aura des modifications de nature législative et réglementaire. Mais au-delà des grands principes, de nombreuses modalités devront être approfondies par la voie de la négociation ou de la concertation. Les partenaires sociaux sont actuellement consultés pour définir un agenda social 2019 et le gouvernement souhaite mettre la santé au travail au cœur des thèmes à discuter. Nous saurons bientôt selon quel calendrier…