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Publié le 07.10.2022

Prévenir les risques psycho-sociaux ou rechercher la qualité du travail ? Trois exemples européens

Auteur

Michel Weill, économiste du travail

Chercheur à l’université Pierre Mendes-France de Grenoble puis au CEREQ ; chargé de mission au Secrétariat Régional pour les Affaires Régionales (préfecture de région Rhône-Alpes) ; directeur de l’Agence régionale pour la valorisation sociale (ARAVIS) à Lyon, directeur de l’information et de la communication, puis directeur scientifique et DGA de l’ANACT.

Les troubles musculo-squelettiques (TMS) et les risques psycho-sociaux (RPS) représentent les deux grandes catégories de risques « modernes » en santé au travail. Les RPS constituent en France la deuxième cause d’arrêt maladie de moyenne durée (deux à quatre mois). Enjeu donc de santé publique, mais enjeu pour les salariés d’abord, enjeu majeur aussi pour les entreprises. Absentéisme, inaptitude, qualité du travail défaillante, incidents, conflits, turn-over, affaiblissement des collectifs de travail, tels sont les maux qui questionnent la place du travail, son image collective et donc l’envie de s’y engager.

La prise de conscience de ces enjeux dans les années 2000 a pu conduire à peindre souvent le travail en noir. En réaction à cette vision souvent catastrophiste et individualiste du travail, certains intervenants, comme Yves Clot, ont voulu « en finir avec les risques psycho-sociaux »(1).

La perspective est de ne plus présenter le travail d’abord comme un risque, mais plutôt de préciser les conditions pour qu’il demeure, ou redevienne, une opportunité de développement des personnes.

Cette perspective passe par un débat collectif sur les critères d’un travail bien fait et la restitution aux professionnels d’un pouvoir d’agir sur leur travail.

C’est cette problématique valorisante du travail, « faire et en faisant se faire », qui a guidé le choix des expériences que nous présentons. Elles sont issues des travaux de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail(2). Les trois entreprises ont été lauréates du concours de bonnes pratiques en matière de prévention du stress et des risques psychosociaux au travail.

Organiser le travail au quotidien (hôtel Colon à Barcelone)

Cet établissement de 80 salariés ne possédait aucune culture de dialogue sur le travail. La direction souhaitait renforcer l’engagement du personnel et accroitre sa satisfaction au travail.

Un groupe de travail, comprenant la direction et des représentants du personnel, a élaboré une procédure d’évaluation des risques professionnels dont la principale conclusion a été de réorganiser les méthodes de travail de l’hôtel.

Des réunions ont été organisées dans chaque département (restaurant, lingerie, nettoyage, réception, cuisine) toutes les deux semaines pendant les heures de travail pour analyser l’organisation actuelle au quotidien, imaginer des améliorations, en discuter et adopter collectivement de nouvelles méthodes. Entre les réunions, les salariés pouvaient anonymement soumettre des sujets à traiter et des suggestions d’améliorations.

De nombreux changements ont été facilement mis en place permettant une organisation plus souple et une répartition du travail plus équitable :

« Ainsi, une proposition visait à améliorer la répartition des tâches relatives à la mise en place des tables pour le déjeuner et le dîner. La solution proposée a été de confier ces préparatifs en alternance à différents postes ».

Un changement de format des prises de commande des petits déjeuners et une amélioration de l’équipement technique utilisé ont également été mis en place.

Le groupe de travail se réunit tous les deux mois pour évaluer l’avancée dans chaque département de la mise en œuvre de ses propositions. 51 mesures ont été proposées, 26 mises en œuvre et 13 sont en expérimentation.

Actionner tous les leviers pour prévenir le stress au travail (entreprise Fastems Oy Ab, Finlande)

Fastems fournit des systèmes d’automatisation sur mesure pour l’industrie dans le monde entier. Cela implique un travail complexe, dans des délais contraints comportant beaucoup de déplacements, y compris à l’étranger. La charge de travail est lourde et les recrutements difficiles, provoquant démissions, changement de postes et demandes de congés sans soldes.

Une procédure d’évaluation exhaustive des facteurs de stress au travail dite TIKKA a été mise en place en partenariat avec le service de santé au travail. Elle comporte des entretiens en petits groupes et avec les superviseurs, des questionnaires individuels et des réunions d’équipe.

« Les entretiens concernent le contenu de la fonction (clarté des objectifs professionnels, rythme de travail, charge de travail, retour d’information) et le climat social au travail (esprit d’équipe, coopération, égalité de traitement). Les réponses et les résultats des entretiens et les suggestions de développement et d’amélioration sont discutés dans un esprit constructif entre les travailleurs, les superviseurs et un représentant des ressources humaines dans le cadre d’événements de retour d’information et de soutien. »

La dimension individuelle est importante : évaluation de l’aptitude au travail, performance, facteurs de stress, pouvant le cas échéant être complétés par des examens de santé plus approfondis enclenchant des actions de soutien.

L’objectif étant d’intervenir le plus en amont possible, les superviseurs ont été formés pour détecter les problèmes à partir de signaux faibles.

Une réduction drastique des déplacements a été obtenue grâce à une augmentation de l’utilisation des outils informatiques, mais aussi d’aménagement de l’organisation et des processus de travail et une évolution des responsabilités.

Il en est résulté une baisse significative des congés maladie et des démissions ainsi qu’une amélioration de l’atmosphère de travail et de la satisfaction des salariés.

Écouter les problèmes recensés par les salariés pour accroitre leur autonomie (VitaS, Belgique)

VitaS est un établissement de soins pour personnes âgées qui a connu une croissance rapide, passant de un à trois sites. Il connait des problèmes de communication, d’absentéisme ainsi que des conflits, de stress, voire d’inquiétude pour l’avenir et un manque « de motivation » reconnu.

L’évaluation des risques psycho-sociaux décidée a été axée sur trois grands domaines : l’organisation, la politique du personnel et la « promotion du bien-être des travailleurs ».

Les actions mises en place à la suite de cette évaluation, couvre un champ extrêmement large : formalisation de descriptions de fonction et de procédures, séances de gestion de conflits et de « renforcement de l’esprit d’équipe », entretiens de performance, politique de présence et d’information renforcée, démarche participative sur l’organisation des horaires, la gestion des compétences (diversification des recrutements, formation des travailleurs moins qualifiés, construction de profils de carrière pour tous).

Le triple caractère global, participatif et progressif de l’approche choisie, semble constituer la clé du succès du changement culturel de cette entreprise dans un métier on ne peut plus difficile et peu attractif.

Quelques leçons ressortent de ces trois exemples.

Le caractère latin, médian ou nordique de la structure ne semble pas influer en quoi que ce soit sur l’attention portée au bien-être au travail ; pas de paradis ni d’enfer dans ce domaine.

Les caractéristiques sectorielles ou de métier semblent par contre beaucoup plus prégnantes : services à la personne ou techniciens de haut vol, les exigences et du métier et jusqu’à un certain point des personnes ne sont pas les mêmes.

Les recettes du succès sont largement confirmées : écoute et implication de tous par différents moyens, approche la plus globale possible, force du pilotage et de l’implication de la direction, place de l’évaluation, voire de l’expérimentation dans la pérennisation des dynamiques.

Finalement la prévention des risques psycho-sociaux constitue un excellent angle d’attaque pour interroger le management et l’organisation… des organisations, pour le plus grand bénéfice non seulement des salariés, mais aussi d’elles-mêmes. La qualité du travail, est une et indivisible !

(1) Yves Clot, Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psycho-sociaux. La découverte 2010
(2) Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail Les risques psychosociaux mieux prévenir pour mieux travailler 2015

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