
David Autissier est directeur des chaires ESSEC Changement et Innovation Managériale. Maître de conférences HDR à l’IAE Gustave Eiffel, ses travaux traitent des problématiques de changement, de transformation et de Management. Auteurs d’une soixantaine de livres, il est expert des stratégies de transformation pour des grands groupes français et internationaux.
Après deux années de crise sanitaire, l’organisation du travail a dû se réinventer afin de s’adapter aux besoins émergents des entreprises et de leurs salariés. Pour que ces modalités d’organisation s’inscrivent dans la durée, elles doivent combiner performance de l’entreprise et préservation de la santé au travail des collaborateurs.
Comment faire de ces nouveaux modes de collaboration un atout santé pour les équipes ? Quels chantiers mettre en place pour mener de front cette logique de « perf and care » ? Quel rôle les complémentaires santé peuvent-elles jouer ?
David Autissier, maître de conférences à l’université et directeur de la Chaire Innovation Managériale et Excellence Opérationnelle à l’ESSEC nous livre son point de vue, exemples à l’appui.
Quelles nouvelles organisations du travail ont émergé suite à la crise sanitaire ?
70 à 80 % des salariés qui ont télétravaillé pendant les périodes de confinement souhaitent adopter une organisation hybride : c’est ce que montrent toutes les études menées sur le sujet. Sous réserve de l’éligibilité de l’activité concernée, les entreprises ont donc, majoritairement, opté pour une organisation dite « hybride émergée », mêlant télétravail et présence au bureau. Le rythme le plus souvent inscrit au sein des accords de télétravail est le « 60/40 », c‘est-à-dire trois jours de présence par semaine sur site et deux jours à distance, ou inversement. Certaines structures, plutôt rares, ont adopté des postures plus radicales. Parmi elles, Boursorama qui autorise 90 % du temps de travail de ses collaborateurs en remote.
Cette évolution vous semble-t-elle pérenne ?
Pour tous les métiers permettant une activité à distance, la Covid-19 a brisé le plafond de verre du 100 % présentiel. À l’inverse, les entreprises, dans leur grande majorité, ne permettront pas plus de deux ou trois jours de remote hebdomadaires. Une présence physique est nécessaire à la cohésion d’un groupe, à l’entretien d’une culture d’entreprise.
« Aujourd’hui, la question n’est pas de savoir si le travail hybride sera pérenne ou non. L’enjeu est plutôt de trouver la clé de répartition entre distanciel et présentiel, selon l’activité de l’entreprise, les besoins opérationnels de ses équipes et les souhaits de ses collaborateurs. »
L’organisation type n’existe pas. Les entreprises vont expérimenter pendant quelques mois des organisations et évaluer si elles sont favorables à l’évolution de la performance et au maintien de la santé au travail des salariés. C’est ce que j’appelle la logique de « perf and care ».
Comment articuler, alors, la répartition entre présentiel et distanciel ?
Les organisations distinguent généralement les activités récurrentes, dites de « run », des activités de « build » consistant à concevoir un nouveau projet. De façon logique, le « run » concernant des tâches connues et processées peut être déporté sans difficultés. A contrario, le présentiel est privilégié pour le « build », qui nécessite créativité, intelligence collective et transversalité.
EDF a ainsi instauré le « contrat d’équipe » : chaque entité a défini les modalités d’organisation les mieux adaptées à son fonctionnement (activité à garder en présentiel, rythme de venue au bureau etc.).
En quoi la mise en place d’une nouvelle organisation peut-elle améliorer la santé au travail des salariés ?
Le remote permet, d’abord, aux salariés de s’affranchir des contraintes de transport. Faire l’économie des trajets domicile/travail permet de gagner du temps et évite de s’exposer au stress et à la fatigue engendrés par les déplacements dans les grandes métropoles. Le gain est concret : le temps de transport quotidien est de quarante-huit minutes, en moyenne en France, et d’une heure vingt-huit minutes en Île-de-France. S’en affranchir permet d’économiser une journée à la fin de la semaine, quatre jours à la fin du mois, et quarante jours à la fin d’une année de dix mois travaillés
Quels défis organisationnels et humains le travail hybride doit-il relever ?
Le travail à distance a engendré deux difficultés majeures :
1/ Une diminution de ce que l’on appelle « la solidarité de
proximité ». Lorsqu’un salarié est sur son lieu de travail, il peut
solliciter facilement ses collègues pour demander de l’aide ou leur avis. À
distance, cet échange impromptu est plus complexe et nécessite l’utilisation
d’un outil d’intermédiation (téléphone ou plate-forme de visio-conférence).
2/ La baisse de « l’ajustement mutuel ». En réunion, par
exemple, certaines attitudes sont parfois excessives. Au bureau, un échange
informel permet d’en atténuer les effets ou les conséquences. À distance, ces
moments de partage précieux à la cohésion et à la bonne entente d’un groupe,
sont beaucoup plus rares.
Le travail hybride doit donc gommer ces effets de bord propres au remote. Pour cela, il est primordial de réunir régulièrement les équipes dans leur globalité, au même endroit et au même moment. C’est ce qu’a mis en place Pôle emploi, par exemple, en instituant des « temps de présentiel collectif » de deux jours continus tous les dix jours.
Comment aider les managers à trouver leur place dans un mode de travail hybride ?
Le management va également devoir évoluer en passant d’un contrôle par les moyens à un contrôle par les résultats. Collaborateurs et managers doivent être soutenus dans cette démarche, via des modules de formation aux soft skills, par exemple. C’est ce qu’a fait BNP Paribas (branche personal finance) en proposant à ses encadrants un MOOC sur la parole managériale qui, à défaut d’être fréquente, doit être plus impactante.
Comment les RH peuvent-elles s’y prendre pour préserver la santé au travail des collaborateurs ?
Les RH doivent, d’abord, se doter d’outils d’observation capables d’évaluer la santé au travail d’un point de vue qualitatif, quantitatif et psychométrique. Elles doivent, ensuite, mailler l’organisation pour permettre aux managers de les alerter avant que la situation de certains salariés, au bord du burn-out par exemple, ne devienne dramatique.
Quel rôle les complémentaires santé peuvent-elles jouer pour aider les entreprises à faire des nouvelles organisations du travail un facteur santé ?
Elles peuvent d’abord servir de laboratoire organisationnel susceptible de dire aux entreprises : voilà ce que nous avons fait, voilà ce qui fonctionne… et, surtout, voilà comment mettre en place ce type d’organisation.
Sur les questions de santé au travail, elles peuvent accompagner les entreprises en orientant les salariés en détresse psychologique vers des spécialistes capables de les prendre en charge.