L’Institut Great Place to Work® s’est établi en France en 2002, onze ans après l’ouverture à l’international de cet organisme fondé aux États-Unis en 1991. Aujourd’hui, il est présent dans 51 pays, collabore avec plus de 6 000 organisations et audite quelque douze millions de salariés. L’Institut affiche partout la même ambition : aider les entreprises à concilier performance sociale et performance économique en créant les conditions pour satisfaire, motiver et accompagner le développement des collaborateurs…
Son Palmarès des entreprises où il fait bon travailler est devenu un véritable marqueur sociétal : en France, cette année, il a ainsi labélisé 66 « entreprises où il fait bon travailler ».
Quels sont les points communs entre toutes ces sociétés ? Sur quels critères l’institut Great Place to Work® mesure-t-il le bien-être au travail ? Et comment accompagne-t-il la transformation culturelle des entreprises dans cette quête ?
Le comptoirmm a rencontré Patrick Dumoulin, le Directeur général de Great Place to Work France.
C’est un petit jeu de piste en plein cœur du dixième arrondissement de Paris. Il aboutit dans la cour pavée de Cité Paradis, au pied d’un immeuble aux verrières d’une autre époque. C’est là que l’Institut Great Place to Work® France a élu domicile. Déco acidulée tendance start-up et photos des collaborateurs épinglées aux murs, la porte ouvre sur un espace de travail à vivre en communauté et des bureaux pour les rendez-vous plus confidentiels. Une vingtaine de collaborateurs à Paris, un premier bureau régional qui vient d’ouvrir à Nantes, un autre en préparation à Lille… Bref, la démarche Great Place to Work® gagne des parts de marché.
« J’ai pris la tête de l’Institut français en 2008 et depuis, on assiste à une accélération importante », confirme Patrick Dumoulin, le Directeur général de Great Place to Work® France. « Il y a bien sûr une nouvelle génération d’entrepreneurs qui bouscule les codes de l’entreprise. Mais au-delà, on constate une prise de conscience plus globale que le bien-être et la santé au travail sont essentiels à la performance de l’entreprise. »
Se faire auditer par l’Institut Great Place to Work® présente plusieurs avantages : les mauvais élèves ont la confortable assurance qu’ils ne seront pas pointés du doigt (puisque le classement ne retient que les bons), et en cas de réussite, c’est une excellente opération de communication en interne comme en externe. En attestent la campagne d’affichage en grand format dans le métro parisien, de même que le partenariat signé avec Le Figaro dont le cahier économie est un « must read » dans le monde du business… Il faut d’ailleurs entendre Patrick Dumoulin raconter avec gourmandise comment, dès le lendemain de la parution du millésime 2016, l’un des lauréats a été démarché par le numéro 3 d’un concurrent, en quête d’une expérience professionnelle plus humaine…
Pour figurer au palmarès, il faut évidemment bourse délier (entre 4 900 et 13 900 euros). Mais ce n’est, en général, pas ce qui fait obstacle. « Travailler avec nous exige un acte de courage managérial », analyse Patrick Dumoulin. « Il faut nous laisser dialoguer avec les salariés, évaluer le management et surtout, accepter ensuite de faire évoluer les pratiques. Ce n’est pas neutre, car une fois engagés, nous ne servons ni eau tiède, ni langue de bois. »
Le classement est établi à partir des résultats détaillés du « Trust Index© », le questionnaire anonyme adressé aux salariés (qui compte pour les deux tiers de la note), et du « Culture Audit© », l’outil d’évaluation des pratiques managériales. Le diagnostic est restitué avec un benchmark sectoriel et des recommandations. Certaines entreprises s’en emparent pour avancer seules, d’autres préfèrent se faire accompagner par l’Institut…
« Attention, nous ne prétendons pas être un cabinet qui évalue la stratégie des entreprises à l’instar de McKinsey ou Roland Berger », précise Patrick Dumoulin. « Ce que nous proposons, c’est d’aider managers et salariés à travailler ensemble pour mettre en place des outils et des plans d’action leur permettant de devenir une entreprise où il fait bon travailler. » Chaque cas étant unique, l’Institut ne revendique ne pas de méthode : « On adapte le mode opératoire, on monte des ateliers sur mesure, des groupes de travail élargis ou restreints, aux managers par exemple.
« Savoir accueillir les nouveaux, donner une place à chacun et ne jamais perdre de vue que le salarié est le premier ambassadeur de l’entreprise. »
Dans tous les cas, la clé du succès est bien de transformer le diagnostic en outil pour guider l’entreprise sur la voie de la performance sociale. « La direction doit s’emparer des résultats et saisir l’occasion de poursuivre le dialogue que nous avons bien souvent engagé au départ, directement avec les partenaires sociaux. C’est ce qui s’est passé à l’hôtel Bristol cette année, lorsque les organisations représentatives du personnel ont souhaité à nous rencontrer pour en savoir plus sur notre démarche et comprendre leur intérêt à participer à l’enquête. » Finalement, 90 % des salariés du palace ont accepté de répondre au questionnaire et l’hôtel a fait une entrée remarquée en 7e position des entreprises de plus de 500 salariés. C’est d’ailleurs le tout premier palace labélisé entreprise où il fait bon travailler en France.
Une cloche retentit. Des têtes sortent des bureaux. Les applaudissements fusent. Petit moment suspendu dans la journée d’un bureau pas ordinaire : le carillon annonce la bonne nouvelle d’un contrat signé avec une entreprise de plus. La cloche, usinée dans le Doubs et gravée au nom de Great Place to Work®, n’est pas qu’un gadget, c’est un objet de convivialité. « Dans une entreprise, il faut savoir partager les bons et les moins les bons moments », explique Patrick Dumoulin. « C’est ce qui crée de la solidarité, tout comme savoir accueillir les nouveaux, donner une place à chacun et ne jamais perdre de vue que le salarié est le premier ambassadeur de l’entreprise. »
« L’agilité n’est donc pas plus une affaire de génération que de taille d’entreprise. Elle doit être culturelle. »
Avec sa base de données mondiale aux dimensions vertigineuses, l’Institut consolide les indicateurs de la performance sociale et économique de ses clients. Cette année, le profil du lauréat français est assez bigarré : les 66 lauréats couvrent 14 secteurs d’activité, 23 comptent plus de 500 salariés, 43 moins de 500, et tous performent sur le triptyque « confiance, fierté et convivialité » dont Great Place to Work® vante les vertus en entreprise.
On constate d’autres constantes qui donnent à réfléchir : toutes les entreprises lauréates ont été créatrices d’emploi et surperforment économiquement dans leur secteur ; elles traitent avec autant d’égard les femmes et les hommes (90 % des salariés déclarent être traités équitablement quel que soit leur sexe contre 62 % en moyenne nationale) et les générations (85 % contre 47 % en moyenne nationale) ; elles investissent au-delà de leurs obligations légales en matière de formation ; et affichent un taux d’absentéisme largement inférieur à la moyenne nationale.
Logiquement, on trouve aussi beaucoup d’acteurs de la net économie : Allo Resto, BlaBlaCar, Sarenza, Leboncoin, Aramisauto.com… Leurs fondateurs ayant dès le départ souhaité associer les salariés à la réussite de l’entreprise. « Le propre de toutes ces entreprises, c’est qu’elles avancent, sans blocages ni a priori, dans une optique de mutation perpétuelle », analyse Patrick Dumoulin. « Mais il est amusant de voir les similitudes entre le jeune fondateur de BlaBlaCar, Frédéric Mazella, et Jean-Luc Grisot, le patron de Valrhona. Près de vingt ans séparent ces deux hommes et ils sont animés par la même soif d’entreprendre et d’apprendre en permanence. »
L’agilité n’est donc pas plus une affaire de génération que de taille d’entreprise. Elle doit être culturelle. Et relève de la conscience qu’un changement perpétuel est nécessaire. Et si la digitalisation de l’économie a rendu plus urgente encore la transformation des entreprises, pour le Directeur général de Great Place to Work® France, cette mutation doit passer par le management de proximité.
« Dans un monde où l’information s’accélère et où le niveau d’exigence grimpe tout autant, l’entreprise doit permettre au premier niveau d’encadrement de bien faire son métier. Elle doit lui porter une attention à la mesure de l’influence considérable qu’il a sur la marche de l’entreprise. C’est l’un des grands chantiers auquel les entreprises françaises doivent s’attaquer. »
Un management lisible, inspirant la confiance des collaborateurs, est en effet un autre dénominateur commun aux champions du bonheur en entreprise. Ainsi, les salariés des 66 entreprises lauréates jugent massivement leur dirigeant « intègres » dans la gestion honnête et éthique de l’entreprise (88 %) et dans la cohérence entre discours et actions (72 %). Ils décrivent un management « participatif » à 78 %, « ouvert et accessible » à 82 % et considèrent leurs dirigeants capables de « fixer un cap et des objectifs clairs » à 80 %.
L’an prochain, l’institut va inaugurer une catégorie pour les moins de 50 salariés et continuer d’évangéliser sur la relation gagnant-gagnant entre un salarié heureux et une entreprise performante… « Le problème, c’est qu’en France, nous avons la manie de pointer tout ce qui ne va pas ! », ajoute Patrick Dumoulin. « La France est la 6e puissance économique mondiale, nous avons des universités, des grandes écoles, un enseignement de qualité qui forme des gens compétents recrutés dans le monde entier et nous n’avons pas confiance en nous ! Plus on mettra en avant ces entreprises exemplaires, aussi attractives que performantes, plus on créera de la confiance et de l’émulation. Et si je devais faire une recommandation à un dirigeant du CAC 40, je lui suggérerais de déjeuner avec les cinq premiers de chaque catégorie… ».