
David Autissier est directeur des chaires ESSEC Changement et Innovation Managériale. Maître de conférences HDR à l’IAE Gustave Eiffel, ses travaux traitent des problématiques de changement, de transformation et de Management. Auteurs d’une soixantaine de livres, il est expert des stratégies de transformation pour des grands groupes français et internationaux.
L’organisation du travail a été profondément transformée à la suite à la crise sanitaire. Le travail hybride est rentré dans les mœurs pour une part significative des salariés. Ce mode de travail favorise-t-il de meilleures conditions de travail ou au contraire, est-il source de stress et augmente-t-il les risques de burn out ?
Comment faire en sorte que le management hybride soit bienveillant ? Quels conseils donner aux managers pour que le travail hybride soit bénéfique pour tous ?
David Autissier, maître de conférences à l’université et directeur de la Chaire Innovation Managériale et Excellence Opérationnelle à l’ESSEC nous livre son point de vue.
« La crise Covid a brisé le plafond de verre du présentiel. A l’issue des restrictions sanitaires, pour répondre à une attente sociétale forte, les entreprises ont majoritairement opté pour une organisation hybride, mêlant télétravail et présence au bureau. Le rythme généralement adopté est de 60/40 : 3 jours de télétravail, 2 jours sur site, ou inversement. Mais cette organisation ne concerne « que » 5 à 6 millions de travailleurs. En effet, tous les salariés ne pratiquent pas une activité éligible au télétravail (production, accueil du public, etc.). Parfois, au sein d’une même entreprise, tous les salariés ne peuvent pas y prétendre, ce qui peut entraîner des sentiments d’iniquité ou des ressentiments.
Les écrans absorbent l’énergie
Le travail hybride permet d’économiser du temps de transport (48 minutes en moyenne en France, 1h28 en Ile de France) et donc la fatigue liée à ces déplacements. Il apporte également une forme de liberté très appréciée des salariés, qui peuvent ainsi effectuer des micro-tâches personnelles durant leur journée de télétravail. Cependant, il ne faut pas sous-estimer la fatigue cognitive causée par les « tunnels » de visioconférence et par le temps passé devant les écrans. En tant que professeur, j’ai bien vu que ce n’était pas la même chose de faire cours devant 200 élèves dans un amphi ou devant mon écran. En présentiel, vous prenez l’énergie du groupe, qui vous porte. Devant votre écran, vous ne recevez pas cette énergie car il n’y a pas de retour. Pour le manager, c’est la même chose. Les écrans absorbent l’énergie et créent une surcharge cognitive.
Devant votre écran, vous ne recevez pas cette énergie car il n’y a pas de retour. Pour le manager, c’est la même chose. Les écrans absorbent l’énergie et créent une surcharge cognitive.
Certaines enquêtes indiquent que plus de 80% des salariés estiment que le travail hybride réduit leur fatigue, améliore leur santé et apporte une meilleure efficacité au travail. Cela me semble plus compliqué que cela. Par exemple, sur l’efficacité, une étude de Nicholas Bloom, professeur à Stanford, note une augmentation de la production de 5% lorsque les salariés sont en télétravail mais pas de la productivité. Cette augmentation s’explique par le fait que les gens travaillent plus longtemps en télétravail, n’ayant plus de temps de transport à effectuer, mais au fil du temps, cela s’amenuise.
Concernant le stress et la fatigue, une étude réalisée à la suite du premier confinement de 2020 indiquait que 20% des salariés étaient en détresse psychologique mais il est difficile de faire la part des choses entre le télétravail et le contexte sanitaire qui était particulièrement anxiogène. Depuis, il n’y a pas eu d’étude sérieuse qui montrerait une augmentation ou une diminution du stress et des burn-out en lien avec le travail hybride.
Une augmentation des micro-conflits
En termes de relationnel, le travail à distance engendre deux
difficultés majeures :
– Une diminution de « la solidarité de proximité », constitutive
d’un lien de confiance. Sur son lieu de travail, le salarié peut solliciter
facilement ses collègues pour demander de l’aide ou leur avis. À distance, cet
échange nécessite l’utilisation d’un outil d’intermédiation qui n’est pas
neutre. Avec le télétravail, on note une augmentation des micro-conflits, par
exemple le mail énervé envoyé à 21 heures.
– La baisse de « l’ajustement mutuel ». En présentiel, les échanges informels, les temps de pause, permettent d’atténuer les frictions ou les mauvaises interprétations. A distance, ces moments de partage, précieux à la cohésion et à la bonne entente d’un groupe, sont plus rares. Beaucoup de choses se passaient dans ces entre-deux, que les Anglais surnomment le « slack ». Face à cela, comment le manager peut-il créer de la confiance, du collectif ? Comment dénouer les tensions, maintenir un esprit d’équipe ?
Le manager doit recréer à la fois l’émulation avec le groupe et la protection du groupe, veiller à ce que les temps de production ne supplantent pas les temps d’interactions, être vigilant aux temps de récupération et au droit à la déconnexion, inciter ses collaborateurs à respecter les pauses physiologiques et à connaître les logiques attentionnelles. La durée optimale d’une réunion en visio est entre 20 et 40 minutes par exemple.
Les managers voient donc leur rôle évoluer et se complexifier avec de nouvelles compétences : maintenir les liens sociaux malgré la distance, s’assurer de la bonne santé physique et mentale de ses salariés. Cela nécessite plus de polyvalence, d’empathie et d’écoute. Ce management hybride demande un don d’ubiquité, voire un retour au multitâches qui décuple la charge mentale. Face à cette nouvelle organisation, il est important de ne pas laisser les managers seuls en les formant et en les accompagnant, au risque de les voir s’épuiser, voire se détourner du management.
Ce management hybride demande un don d’ubiquité, voire un retour au multitâches qui décuple la charge mentale
De nouveaux rituels de management
Pour faire en sorte que le management hybride soit bénéfique à tout le monde et atténuer les facteurs de stress et d’épuisement professionnel, un cadre managérial clair, dans lequel l’organisation du télétravail est régulée, doit être posé. Au manager de mettre en place de nouveaux rituels : réunions plus courtes, échanges réguliers avec chacun de ses collaborateurs, tout en s’adaptant à leur degré d’autonomie. De plus, comme le présentiel devient plus rare, le manager doit être capable de délivrer des messages impactants, lorsque ses équipes sont réunies.
Au manager de mettre en place de nouveaux rituels : réunions plus courtes, échanges réguliers avec chacun de ses collaborateurs, tout en s’adaptant à leur degré d’autonomie
Le manager doit aussi passer d’un contrôle par le temps de présence à un contrôle par les résultats, tout en sachant que leur définition ou les indicateurs pour les suivre n’est pas toujours aisé.
Ainsi, toute la ligne managériale est impactée par cette nouvelle organisation. Les entreprises multi-sites partent avec un temps d’avance, car elles étaient déjà habituées à travailler à distance, mais les entreprises mono-site vont avoir un temps d’apprentissage plus long et plus difficile ».