Plus d’un an après le début de la crise sanitaire et économique, Patrick Légeron, psychiatre, co-fondateur de Stimulus et auteur du livre « Le stress au travail » dresse un état des lieux de la santé des dirigeants. Quelles sont les sources de risques ? Comment agir en prévention ? Interview.
Selon vous, quels sont les principaux facteurs de fragilités des dirigeants de petites et moyennes entreprises ?
Le surinvestissement est un facteur de fragilité important, surtout pour les dirigeants de TPE et de PME. Ils font corps et âme avec leur entreprise, peut-être même trop. S’engager pour son travail est tout à fait normal et positif, mais de manière démesurée cela peut conduire au burn-out. Les personnes surinvesties risquent davantage de craquer et de s’effondrer face à l’adversité, notamment en période de crise.
Les dirigeants doivent apprendre à déléguer et à s’absenter : il est important d’en finir avec le sentiment d’être indispensable.
Comme le montre l’étude de Malakoff Humanis, certains ne prennent pas du tout ou pas suffisamment de congés, d’autres ne respectent pas les arrêts de travail de leur médecin. Or, c’est un vrai facteur de risque pour leur santé et c’est aussi se méprendre sur ce qu’est un bon chef : quand un bon dirigeant n’est pas là, son entreprise marche très bien sans lui !
Quels sont vos conseils pour les dirigeants qui ont justement du mal à déconnecter ?
Il existe des techniques très efficaces pour apprendre à son cerveau à se mettre en pause, comme la méditation ou la sophrologie. Au-delà des congés, les temps de pauses quotidiens sont essentiels : les dirigeants ont, certes, des urgences à gérer, mais ils ne sont pas non plus réanimateurs dans un service de cardiologie vasculaire !
Caler 5 minutes de pause entre deux rendez-vous est tout à fait faisable. Pour réduire leur charge cognitive, qui est importante, je leur conseille aussi d’apprendre à bien gérer leurs mails professionnels pour ne pas se laisser déborder et mieux concilier les temps de vie.
Les dirigeants ne prennent donc pas assez de temps pour eux ?
Tout à fait ! Tous devraient (ré)intégrer des activités plaisantes dans leur planning quotidien, et ne plus attendre leurs vacances pour souffler et se faire plaisir : écouter de la musique, sortir quelques minutes prendre l’air au soleil, passer un coup de fil à un ami, faire du sport… Souvent, ils ont des agendas surchargés, mais pas une minute de détente !
L’altruisme engendre aussi des émotions positives, qu’il s’agisse d’un compliment ou d’un sourire. Répéter ces actes bienveillants n’est pas anecdotique, cela fait aussi baisser le niveau de stress en arrêtant de se focaliser sur le négatif.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans l’étude de Malakoff Humanis ?
Le fait que la très grande majorité des dirigeants s’estime en bonne santé, malgré la crise. Cette perception me semble très élevée. Il y a peut-être de la part de certaine une forme de déni. Quand j’échange avec des patrons ayant fait un burn-out, beaucoup ont tiré sur la corde jusqu’au jour où ils ont craqué.
Or, un burn-out ne survient pas du jour au lendemain, il y a des signes avant-coureurs pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, mais beaucoup se refusent de les voir ou de les accepter (comme le stress ou la fatigue).
L’image d’Epinal du dirigeant qui doit être fort, comme Superman, est encore trop présente ! Accepter ses faiblesses ne veut pas dire que l’on n’est plus légitime à son poste, bien au contraire.
Et la pression est particulièrement lourde pour les dirigeants de TPE-PME…
En effet, ils ont souvent une responsabilité plus lourde sur les épaules que leurs homologues de grandes entreprises : si l’entreprise coule, cela touche leur emploi, mais cela touche aussi tous leurs salariés. Or, dans une petite structure, il y a une proximité forte avec les équipes, ce ne sont pas des anonymes.
L’étude de Malakoff Humanis montre également une hausse du stress chez les dirigeants en cette période de crise…
Oui, et c’est tout à fait normal compte-tenu du contexte. Mais cela montre aussi que les dirigeants devraient être mieux formés, dès leurs études, à la gestion du stress. Cela les aiderait à affronter des tempêtes, à s’adapter comme le fait le roseau dans la fable de La Fontaine (alors que le chêne lui finit déraciné).
Être dirigeant est un métier stressant, surtout face aux incertitudes actuelles : il faut apprendre à se manager et à se ménager, à activer des leviers de résilience comme l’activité physique, la méditation, une alimentation saine… Ce sont des facteurs de protection.
A l’inverse, le tabac est un faux-ami : il donne l’impression d’aider à réduire le stress, mais les effets rebonds sont très négatifs. En cela, la hausse du tabagisme révélé par l’étude est préoccupante.
Quels sont vos conseils pour les dirigeants en burn out ou proches de l’épuisement ?
Pour ces derniers, il faut d’abord qu’ils prennent conscience des signaux d’alerte en période de surchauffe. Et ensuite qu’ils acceptent de ralentir au lieu d’en faire toujours plus. Le surinvestissement n’est pas synonyme de performance ! Ce n’est pas la seule façon d’être efficace.
Pour les personnes en burn out, il est fondamental de se faire aider et accompagner. Il y a un vrai travail psychologique à effectuer pour trouver une relation plus saine avec son travail.