La notion de « travail qui use » laisse la place à celle de « bonheur au travail », comment expliquez-vous cette évolution ?
La thématique de la souffrance au travail, est finalement très contemporaine alors que les conditions de travail étaient moins favorables dans les années 1950, 60 ou 70. Ce qui a changé par rapport aux Trente Glorieuses, c’est une individualisation du rapport au travail. Chacun est face à ses objectifs, sa promotion, son salaire et se trouve en concurrence quasi systématique avec les autres. Cela crée de la souffrance. Il y a 40 ans, la question de la dureté des conditions de travail était prise en charge par les collectifs qui partageaient des valeurs communes et développaient des formes de solidarité qui n’existent plus.
Comment cela se traduit en entreprise ?
Par la naissance de nouvelles fonctions ou services aux salariés tels que le chief happiness officer, le manager de la bienveillance, les séances de méditation, les services de conciergerie. Tout cela est mis en place avec l’idée que si l’on s’occupe suffisamment de l’être humain, ça va l’aider à supporter la dureté de la vie professionnelle. Toutes choses égales par ailleurs, ces mesures représentent un plus : on préfère toujours quand l’atmosphère de travail est plus ludique et agréable. Mais attention, le bonheur au travail, ce n’est pas cela. Le bonheur au travail, c’est être reconnu et respecté dans sa professionnalité, avoir la possibilité de développer son autonomie pour mettre en valeur son expérience, ses compétences et avoir un travail qui a du sens.
Quel levier les entreprises peuvent-elles activer pour rendre leurs salariés plus heureux ?
Celui du management. En effet, le management actuel recourt à des méthodes, à des protocoles ou des process qu’il impose aux salariés en niant leurs capacités à choisir les bonnes manières de travailler. Au contraire, il faudrait miser sur leur qualité d’engagement, sur leur volonté de bien faire, sur leurs compétences et leur laisser une marge de manœuvre qui leur permette d’avoir leur mot à dire sur la manière dont leur travail doit être organisé.
L’ambiance est aussi un déterminant de la qualité de vie au travail. Comment agir sur ce facteur ?
En recréant du collectif, qui contribue à la qualité des relations au travail et renforce la professionnalité, mais pas de façon factice. Pour cela, il faut laisser la place à une intelligence collective qui est absolument nécessaire car on ne peut pas tout résoudre seul. S’il y a eu des évolutions dans l’entreprise, il faut prendre le temps de faire un bilan collectif sur ce qui a été amélioré ou ce qui s’est détérioré. Il faut de l’authenticité dans les relations, de la confiance. Aujourd’hui, les gens sont dans des épreuves très solitaires, face à une hiérarchie très mobile qui ne connaît pas toujours le travail de ceux qu’elle encadre. C’est l’isolement qui crée le mal-être et les burn-out.
Qu’ont les entreprises à gagner à mettre en place ces mesures ?
Dans les situations difficiles, la performance de l’entreprise en pâtit. Les salariés s’épuisent à rendre plus opérationnelles des procédures qui le sont peu. Les entreprises se privent alors d’inventivité, de créativité, du renouvellement que pourraient apporter les salariés. Les salariés français sont très engagés dans le travail, plus que les autres. Si on les laissait développer leur professionnalité, on aurait une capacité de renouvellement et de créativité qui rendrait la France plus performante.