Au début du déconfinement, un curieux syndrome est apparu, celui qu’on a surnommé le syndrome de la cabane et qui désigne la peur de sortir de chez soi, d’être de nouveau confronté au monde extérieur et donc à un potentiel risque d’être exposé au virus. Ce syndrome impact le monde du travail. D’après le baromètre absentéisme & Covid-19 de Malakoff Humanis, 60% des salariés ont déclaré en juin qu’ils appréhendaient leur retour au bureau. Au-delà de la peur face au virus, y-t-il d’autres raisons pour expliquer cette angoisse de la reprise du travail sur site ?
Explications et solutions avec Philippe Rodet, ancien médecin urgentiste et expert du bien-être au travail et Elodie Chevallier, co-fondatrice du Collectif Chercheurs Consultants et experte de la question du sens au travail.
A l’origine, la peur sanitaire et le drame collectif
« Dans un premier temps, nous avons dit aux salariés de rester chez eux parce qu’aller travailler était dangereux. Le cerveau s’est habitué à cette idée. La peur de tomber malade est toujours très forte », indique Philippe Rodet, ancien médecin urgentiste et expert du bien-être au travail. Et concrètement, les salariés redoutent de ne pas pouvoir respecter les gestes barrières, tout comme la distanciation physique et appréhendent également de devoir porter masques et gants au quotidien.
Le masque est devenu très ambivalent. Nécessaire pour se protéger. Mais difficile à supporter, dans les relations humaines, parfois comme un obstacle aux retrouvailles avec les collègues. Il symbolise encore l’épidémie, la peur de la contagion. « Porter un masque tous les jours et rappeler le virus à l’esprit des salariés est une très grande source d’angoisse. Il faut trouver le juste équilibre entre protéger et ne pas être source de stress, d’où l’intérêt de bien accueillir et rassurer dès le départ. Le manager doit communiquer en amont avec le salarié pour préparer son retour au bureau et le rassurer de ses craintes, qu’elles soient matérielles, médicales ou psychologiques », ajoute Philippe Rodet.
Les interrogations sont multiples. Alors que les entreprises prennent les mesures nécessaires pour reprendre la vie au bureau, le malaise peut toutefois se nicher ailleurs.
Le sens et la désillusion du “monde d’après” qui ne survient pas
Au-delà de la crainte du virus, après des mois très anxiogènes, la peur du retour au bureau cache, pour certains, des interrogations plus profondes sur le sens de leur travail. 6 jeunes sur 10 déclarent que la crise a questionné le sens de leur travail, selon les études barométriques de Malakoff Humanis sur le télétravail faites sur la période de mars à juillet 2020. « La question du sens a toujours été présente, mais la crise du Covid-19 a permis de mettre en exergue les points négatifs comme positifs de la vie professionnelle. La santé est passée avant les priorités professionnelles, qui quant à elles ont été revues à la baisse », assure Elodie Chevallier, co-fondatrice du Collectif Chercheurs Consultants et experte de la question du sens au travail. Jusqu’à parfois détacher les salariés de leurs entreprises.
Une période vécue différemment par les salariés
Certains salariés seuls ou en famille ont pu vivre un confinement plus en adéquation avec leurs besoins. Parallèlement d’autres ont souffert… d’isolement, de surengagement. Mais tous se sont projetés dans l’utopie du monde « d’après ». « Il y a eu une idéalisation du monde d’après, qui était sur toutes les lèvres. Dans cette idée, il est difficile aujourd’hui de revenir au monde d’avant », soulève Elodie Chevallier.
Et n’oublions pas le trauma… profond, plus ou moins visible. Collectivement, nous avons tous été confrontés à la catastrophe et des répercussions sur le long terme sont à prévoir pour l’ancien urgentiste : « Il y aura un effondrement moral, c’est à dire que l’on peut craindre de très grosses dépressions et des suicides, au point culminant d’aggravation après cette crise, dans les trois années qui viennent ».
Comment améliorer cette situation ?
Les deux experts s’accordent sur un point, pour un retour au bureau dans de meilleures conditions : il faut accompagner le plus possible le salarié dans ses questionnements et rester flexible en permettant au salarié de télétravailler plus souvent. Toutefois, pour le docteur Philippe Rodet, « le manager doit faire attention à ne pas tout accepter. Il faut donner un cadre pour que les salariés puissent évoluer ». Et une mission claire. « Si l’on veut que les collaborateurs reviennent au travail dans de bonnes conditions – explique Philippe Rodet – il est essentiel de les aider à trouver du sens. Donc plus il y aura de sens, moins on aura peur. »