Illustration : les femmes aidantes et l’entreprise
Publié le 06.10.2022

Comment libérer le potentiel spécifique des femmes aidantes et favoriser ainsi la création de valeur pour l’entreprise ? Rencontre avec Elodie Dratler, cheffe d’entreprise et maman aidante

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Photo d'Elodie Dratler, cheffe d’entreprise et maman aidante

Elodie Dratler a travaillé pendant 20 ans dans le secteur de la publicité digitale dont 4 ans en occupant des postes à responsabilités, cumulés à une situation d'aidante. Forte de son parcours, elle fonde Wominds en 2020, start-up œuvrant dans le domaine de l’égalité des genres et de l’inclusion sur le lieu de travail. Elle est également membre d'ONU Femmes France.

« Je me considère par nature comme une femme autonome, libre, rebelle et engagée ». De quoi résumer parfaitement la personnalité d’Elodie Dratler, menant de front, 4 années durant, une brillante carrière dans la publicité digitale et soutenant seule, son fils atteint d’anorexie mentale.

Aujourd’hui dirigeante de Wominds, cabinet aidant les entreprises à comprendre et contrôler les risques liés à la discrimination professionnelle, Elodie est bien placée pour relater les difficultés auxquelles doivent faire face les millions de femmes aidantes. Elle propose des solutions afin de les soutenir dans leur quotidien professionnel mêlant stress, efficience et culpabilité.

Portrait d’une femme touchante, pétillante et inspirante.

Le quotidien d’aidante bascule sans cesse entre moments de concentration intenses et situations d’urgence

Carriériste par nécessité, ou plutôt « challengeuse » à la fois audacieuse et pétrie de doutes, Elodie Dratler est successivement directrice de la publicité chez Psychologie Magazine, DGA puis directrice marketing chez Ligatus, régie publicitaire digitale qu’elle se voit dans l’obligation de quitter en 2019 après le rachat de l’entreprise. Elle se rend compte, alors, qu’en tant qu’aidante, elle possède des droits, dont celui du maintien à l’emploi dont elle ne bénéficie pas, faute de s’être déclarée en tant que telle dans l’entreprise.

Elodie rebondit aussitôt dans une PME en tant que Chief Marketing Officer et annonce d’emblée son statut d’aidante. Le message est clair et bien accueilli : « il ne faut pas m’attendre sur des horaires, mais sur des livrables et des résultats ».

Alors qu’elle est encore en période d’essai, on lui propose de racheter la société. Seule femme du COMEX, elle en est l’unique membre à décliner l’offre, arguant qu’elle « ne sait pas faire » et que sa situation familiale ne lui permet pas.

« Un comportement typiquement féminin, renforcé par le statut d’aidante : nous attendons d’être expertes dans un domaine et d’évoluer dans un cadre idéal pour nous lancer alors que nous avons les capacités nécessaires et que les choses ne fonctionnent pas comme ça ».

Pendant 4 ans, son quotidien d’aidante bascule sans cesse entre moments de concentration intenses, réunions, lancements de produits et appels de l’hôpital lui demandant de tout quitter pour venir instamment : son fils est en choc psychologique après un événement traumatisant ou vient d’être emmené aux urgences suite à un malaise.

Avec sa vie d’aidante, elle donne au-delà du possible, mettant parfois sa propre santé en danger.

Juin 2020 : exit la publicité digitale, Elodie Dratler crée sa structure afin d’apporter sa pierre à l’édifice dans la construction d’un monde professionnel plus juste. Wominds voit le jour. Sa vocation : établir des diagnostics RH, transformer les comportements grâce à la formation et aider à communiquer.

« Oui, les femmes aidantes sont plus exposées aux risques psycho-sociaux »

Elodie Dratler le reconnaît aisément. Plusieurs phénomènes en sont la cause, selon elle :

  • le stress, d’abord, omniprésent dans la vie d’une aidante, en particulier lorsqu’elle est seule ;
  • la culpabilité, donnant l’impression aux aidantes de ne jamais en faire assez, que ce soit au travail ou auprès de la personne qu’elles aident ;
  • la gestion permanente des émotions : l’entreprise n’étant pas le lieu où l’on s’écroule, montrer sans cesse aux équipes que tout va bien peut devenir sclérosant ;
  • l’équité professionnelle qui occupe très souvent les esprits : que vont penser mes équipes si je suis souvent absente ? Jusqu’à quel point mon manager va-t-il comprendre et accepter ma situation ? ;
  • la peur de perdre son emploi causée, entre autres, par des retards et des absences fréquents ;
  • la pression que les aidantes se mettent pour produire plus et mieux, dans l’espoir de compenser un rythme de travail haché.

Repérer les aidantes et créer un climat de confiance

Comment mettre en place une politique RH adéquate et à qui l’adresser sans connaître le nombre ni l’identité des aidants présents dans l’entreprise ? Une impossibilité, de fait, pour la cheffe d’entreprise qui exhorte les décideurs RH à mener des diagnostics internes pour mieux identifier les salariés aidants.

Via Wominds, elle propose d’ailleurs aux entreprises de définir un score d’équité professionnelle mesurant 5 aspects dont l’équilibre vie personnelle / vie professionnelle, item au sein duquel les salariés peuvent déclarer leur statut d’aidants.

Parler sans peur d’être jugée, de perdre son emploi, ou « d’oser demander une promotion ». Selon Elodie Dratler, l’autre condition sine qua non pour préserver la santé au travail des aidantes consiste à créer un dialogue interne, à promouvoir une parole libre et sincère intégrant les contraintes de l’entreprise et des salariées concernées.

Permettre aux aidantes de travailler différemment pour respecter leur équilibre

Concrètement, Elodie Dratler propose plusieurs pistes d’aménagement du travail. Leur point commun : donner officiellement le droit aux aidantes de ne pas travailler comme les autres.

Annualisation du temps de travail, remote étendu ou à la carte, proposition systématique de temps partiel, job sharing, job splitting (partage d’un poste en 2 fonctions complémentaires et indépendantes) le permettent.

Offrir la possibilité aux aidantes de travailler en dehors des horaires contractuels est également un moyen de les rasséréner, par exemple lorsqu’elles doivent passer une partie de la journée à l’hôpital.

Connaître le cadre réglementaire et former les équipes

Lorsqu’Elodie Dratler devient maman aidante, elle ne connaît pas le cadre légal entourant le statut d’aidant, à l’instar des dirigeants d’entreprises dont elle croise le chemin.

Maîtriser, utiliser et communiquer quant aux congés et prestations réservés à ces salariés à part entière, est devenu pour elle un basique des RH.
Temps de répit autorisés, congés de proches aidants, de présence parentale, ou de solidarité familiale, dons de congés, prestations de compensations financières du handicap, sont autant de dispositifs susceptibles de faciliter le quotidien des aidants.

Former les équipes RH et les managers sur ce sujet est, pour cela, indispensable. Qu’est-ce qu’un aidant ? Quels sont ses droits ? Une étape encore trop rare, essentielle pourtant à la définition de politiques RH adaptées.

Elodie Dratler conseille enfin de travailler sur la reconnaissance des connaissances acquises. « Ce n’est pas parce que l’on est aidante que l’on n’est pas compétente » : une évidence qu’elle appelle à signifier en interne.

Comment ? En formant RH et management à lutter contre les biais cognitifs s’exprimant, entre autres, lors des entretiens individuels d’évaluation. Objectif : garder à l’esprit que l’aidante doit être jugée sur l’exécution de sa mission, et non sur son temps de présence.

« Plus qu’une simple posture, faciliter leur quotidien doit être un engagement RSE concret et effectif », résume Elodie Dratler.

« La population vieillit. Il va bien falloir s’en occuper ». Raison de plus pour inscrire l’intégration des aidantes dans les engagements des organisations. « Plus qu’une simple posture, faciliter leur quotidien doit être un engagement RSE concret et effectif », résume Elodie Dratler.

Gestion du stress, résilience, adaptabilité, capacité à déléguer et à faire confiance sont quelques-unes des nombreuses soft skills que les aidantes développent pour gérer leur quotidien. Des facultés précieuses qui pourraient bien infuser positivement dans l’entreprise et favoriser la création de valeur. De quoi joindre l’utile à l’indispensable, en somme.

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