Loin d’être une vulnérabilité, le cancer peut bel et bien devenir une vraie force pour l’entreprise. Plus qu’un message d’espoir, pour Anne-Sophie Tuszynski, c’est un credo. CEO de Wecare@Work, elle s’est donnée pour mission d’accompagner les entreprises à trouver des solutions pour préserver l’emploi des personnes malades.
Le cancer est-il toujours un tabou en entreprise ?
De moins en moins. En 2016, notre baromètre Cancer@Work révélait que plus d’un actif sur 2 considère qu’il est encore tabou de parler de cancer au travail, alors qu’en 2013, ils étaient plus de 77%. Les marges de progrès restent néanmoins réelles. Nous espérons que la campagne « Fighting cancer » soit un nouvel accélérateur. L’évolution des mentalités passera en grande partie par les prises de parole et les initiatives des malades et des entreprises.
Quel est le retour d’expérience des entreprises signataires de votre charte Cancer@Work ?
Le projet de cette charte était de faire du cancer au travail une stratégie d’entreprise. Cela veut dire recentrer l’entreprise sur ses salariés et incarner plus concrètement la responsabilité sociale et sociétale des entreprises.
Les entreprises engagées à nos côtés mesurent rapidement les effets bénéfiques : baisse de 5 % d’absentéisme en 1 an, développement de l’agilité managériale, climat social apaisé, innovation métier… Quand une entreprise s’occupe de ses salariés malades, elle produit un bénéfice qui profite à l’ensemble de la société. Un cercle vertueux s’installe naturellement.
Un exemple vous vient à l’esprit ?
Je pense à une ETI, basée dans la région rouennaise et spécialisée dans la fabrication de flacons pour des grands noms de la parfumerie : CCI Productions. Cette entreprise emploie 200 salariés peu qualifiés et majoritairement des femmes. Elle a été récemment confrontée à de nombreux cas de cancers. La dirigeante, Isabelle Guymarch, elle-même touchée par la maladie, a mis en place une solution simple, peu coûteuse, et co-construite avec ses salariées : réorienter les ouvrières qui ont subi une mastectomie sur une chaîne de production axée sur la personnalisation des produits évitant ainsi le cadencement trop violent propre à la chaîne de fabrication.
En quelques mois le climat social s’est apaisé. Les salariés se sont tous retrouvés autour de ce projet. Les candidatures spontanées ont afflué en masse et le taux d’absentéisme a baissé. Confrontés à une collègue atteinte d’un cancer, les autres salariés apprennent également à relativiser. Voilà comment face à la maladie, une entreprise peut transformer une vulnérabilité en force et un isolement en cohésion. Comme l’a si bien résumé une équipe que nous avons suivie, le cancer en entreprise c’est finalement le « meilleur séminaire de team building ».
Quand une entreprise s’occupe de ses salariés malades, elle produit un bénéfice qui profite à l’ensemble de la société. Un cercle vertueux s’installe naturellement.
Anne-Sophie Tuszynski, CEO de Wecare@Work
La maladie serait donc un moteur de transformation de l’entreprise…
Oui ! Concilier maladie et travail sur le plan humain comme économique est un pari gagnant-gagnant à la fois pour les malades qui conservent leur place dans la société, mais aussi pour les entreprises qui, en incluant la maladie, recréent du lien social, restaurent la confiance, développent de la souplesse managériale, gagnent en compétence et font même des économies ! Diminution des coûts de recrutement, de formation, de l’absentéisme… d’après notre dernière étude, les entreprises pourraient réaliser jusqu’à 500 millions d’euros d’économie chaque année.
Concilier maladie et travail sur le plan humain comme économique est un pari gagnant-gagnant.
Anne-Sophie Tuszynski, CEO de Wecare@Work
Quels dispositifs innovants d’accompagnement ont été récemment mis en place par les entreprises partenaires ?
Comme je l’explique dans mon dernier livre « Cancer et travail : comme j’ai « re »trouvé ma place ! comment trouver la vôtre ? », dans la mesure où chaque situation est différente, il est très difficile de mettre au point des outils standardisés.
Il n’y a pas de recette miracle mais que du sur-mesure. Les actions de nos membres reposent sur des piliers simples et pragmatiques : anticipation, dialogue, co-construction d’un plan d’action et suivi. Sur la base d’une parole libérée et de dispositifs légaux ou contractuels, des accompagnements personnalisés se mettent en place qui répondent aux besoins du malade mais aussi à ceux des membres de l’équipe qui doivent continuer à tenir leurs objectifs.
Des solutions sont ainsi trouvées pour éviter le report de tâches. Cette logique gagnant – gagnant, permet donc aux personnes malades d’être bien accompagnées, aux équipes de gagner en efficacité et aux entreprises en performance.
Parmi vos entreprises partenaires, constatez-vous une différence entre les grands groupes et les PME et TPE ?
Étant donné que l’engagement à mieux concilier maladie et travail dépend en grande partie de la volonté des dirigeants et des salariés, il n’y a pas de différence dans la prise en compte de la maladie. En revanche, il y en a dans la mise en place des dispositifs d’accompagnement. Une TPE n’a pas les mêmes moyens humains et financiers pour accompagner les salariés qu’un grand groupe. Elle a donc plus de mal à anticiper des solutions adaptées. Pour les aider, les branches professionnelles ont un rôle important à jouer. Mais les situations les plus critiques sont celles des indépendants, des professions libérales, des agriculteurs, qui sont seuls face à la maladie.
Or, face à l’évolution structurelle du travail, qui est de plus en plus bouleversé par l’augmentation du nombre de salariés indépendants, des activités professionnelles plurielles et simultanées, je pense nous devons rapidement nous interroger et surtout agir pour davantage d’égalité entre tous les actifs.